Eco-trail de Paris 2012, le jour le plus long

Quand l’éco-trail de Paris a vu le jour en 2008, je n’imaginais même pas un jour devenir plus qu’un jogger occasionnel. Hier soir en me présentant au premier étage de la tour Eiffel après 9h12′ d’efforts intenses consentis par une chaude journée de mars, j’ai ressenti un puissant magma d’émotions entremêlées me parcourir des pieds à la tête. Il m’a fallu avaler prestement deux canettes de bière pour retrouver mes esprits. Retour sur cette journée comme on n’en vit pas tous les jours.

A la fin de l’été dernier, je fais la rencontre de Yann, un coureur de l’arrondissement voisin. Nous préparons chacun un marathon, lui celui d’Amsterdam, moi celui de Vincennes. Nous les finirons tous les deux en moins de 3h30. Nos références sur les distances inférieures sont également voisines. Quand nous nous rendons compte que nous avons tous les deux fait de l’éco-trail 2012 un gros objectif, c’est tout naturellement que nous partageons quelques sorties et commençons à ébaucher quelques plans pour cette course qui constitue un première pour chacun de nous.

Les semaines passent et ce trail devient une obsession. Je m’imagine des dizaines de fois escalader les dernières marches qui mènent au premier étage de la tour Eiffel. C’est bon signe. J’effectue fin janvier mon baptême dans la discipline en prenant par au boueux ice trail. Il reste deux mois à patienter. J’en profite pour encore progresser en vitesse sur 10km, 15km et semi-marathon. Je programme tant bien que mal quelques sorties longues, pas autant que j’aurais espéré. Et c’est avec environ 600 kilomètres de préparation dans les jambes que je me présente sur la ligne de départ le jour J.

Nous sommes le 24 mars, mais les conditions météorologiques sont celles d’un 24 juin. Ce qui me fait craindre le pire. Les organismes sortent de l’hiver et n’ont pas eu le temps de s’accoutumer à cette température surprenante. A quelques minutes du départ, en plein soleil de midi, nous avons même déjà très chaud au milieu des 2000 coureurs venus en découdre. La Runnosphère est bien présente, Bastien, Maya et Giao ne sont pas loin. Ce dernier prend part pour la seconde fois à la formule longue de l’éco-trail alors que Bastien et Maya étaient présents sur la course de 50km en 2011.

Yann et moi avons tenté d’élaborer une stratégie sans trop savoir ce qu’elle vaut. L’objectif est d’aller le plus loin possible à deux, voire jusqu’au bout. Nous avons décidé de partir sur un rythme de 11km/h jusqu’au ravitaillement de Buc situé au 22ème kilomètre de course. J’embarque avec moi les produits de la marque Effinov (liquide et solide) déjà testés et approuvés. Je n’aurai d’ailleurs aucune mauvaise surprise. Les premières difficultés n’interviennent qu’une fois le ravitaillement passé. Nous envisageons de gérer la suite au fil du dénivelé et des nombreuses côtes courtes mais pentues qui nous attendent.

Le scénario établi se déroule sans anicroche et nous nous présentons à Buc en 2h02 à la 400ème place. Nous trouvons cependant déjà inquiétant d’avoir trouvé nos jambes un peu lourdes dans une bosse intervenue peu de temps avant ce premier ravitaillement. Les premiers effets de la chaleur ? Nous quittons la zone en ayant pris grand soin de remplir nos réservoirs. Les choses sérieuses peuvent commencer.

Nous savons que les 1500 mètres de dénivelé annoncés sont essentiellement concentrés entre Buc et le parc de Saint-Cloud, lieu du dernier point de ravitaillement situé après 67 kilomètres de course. Les parties montantes et descendantes sont très souvent abruptes. Dans les montées la marche est de rigueur sous peine d’être incapable de la moindre relance une fois le sommet passé. Dans les descentes, souplesse et relâchement sont de mise pour épargner les muscles des jambes déjà bien sollicités par ailleurs. L’enchainement de ces difficultés fait perdre de sa cohésion à notre binôme jusqu’alors exemplaire. Yann, victime d’un léger coup de chaud accuse le coup. Je lui apporte mon soutien, il est trop tôt pour que nos routes se séparent.

Le point d’eau du 45ème kilomètre se fait attendre. Autour de nous une multitude de coureurs sont à cours de liquide, de très nombreux concurrents de mettent à marcher au moindre faux plat montant. Il reste plus de 30 kilomètres à parcourir et la chaleur semble déjà avoir fait sa mauvaise oeuvre. Je prends doucement le large et décide d’attendre Yann au ravitaillement liquide. Il arrive quelques minutes derrière moi. Je compte vivement sur ce ravitaillement en eau fraiche pour qu’il retrouve des forces. Nous ne nous éternisons pas et reprenons notre chemin. Malheureusement j’ai trop misé sur cette courte pause. Yann est encore bien éprouvé. J’ai le sentiment que nous nous gênons mutuellement. L’élastique déjà un peu distendu finit par rompre à l’approche du 50ème kilomètre, après le passage à l’observatoire de Meudon.

Je me prépare à affronter une fin de course longue difficile en solo quand je vois revenir Bruno de l’arrière. Je suis surpris de le voir là, lui qui m’a déposé dans une montée 20 kilomètres plus tôt. Il m’avouera avoir dû faire une longue pause pour digérer un gros coup de bambou. Je comprends tout de suite que son retour me sera providentiel. Bruno est un ami de Bastien, on se connait peu voire pas du tout, mais rapidement notre alliance s’annonce prometteuse. Il est un traileur expérimenté et performant, comme le prouve cette photo à l’arrivée d’une course mythique dont je vous laisse deviner le nom.

Tout en discutant, nous embrayons sur un rythme croissant, qui nous permettra de gagner plus de 100 places jusqu’à la tour Eiffel ! Nous commençons d’abord par atteindre le ravitaillement du 56ème kilomètre, au Parc Mare Adam à Chaville. Il est 18h30 et la présence consistante d’un public chaleureux est rassérénante ! La luminosité commence à tomber. Le temps d’une soupe au vermicelle et au moment où nous nous apprêtons à repartir Yann fait son apparition dans la zone de ravitaillement. Il a l’air d’avoir repris des forces, ça fait plaisir. Je repars en direction du domaine de Saint-Cloud en le laissant profiter de sa pause. Bruno et moi nous livrons à une belle partie de manivelles !

Pendant les dix kilomètres qui séparent les deux points de ravitaillement nous partageons des relais efficaces et économisons nos dernières forces en marchant dès que la route s’élève un peu trop. L’arrivée du dernier ravito est synonyme de fin avec les difficultés.

Il ne reste plus que 12 petits kilomètres dont 2 de descente pour sortir du parc. Nous prenons quand même le temps de nous poser. J’en profite pour passer un coup de téléphone, répondre à quelques messages d’encouragement. La nuit est tombée et la tour Eiffel illuminée fait son apparition, au loin. Premiers frissons. Il est l’heure de rassembler nos dernières forces pour remonter les quais de Seine et atteindre la dame de fer. Il est presque sûr à ce moment, sauf accident, que ce sera chose faite en moins de 10 heures. Dans la descente, mon téléphone sonne. C’est Julien ! Le terrain est un peu technique mais je prends le risque de répondre pour savoir ce qu’il veut me dire. La discussion est sympathique, je le sermonne pour voir voulu me faire croire qu’un trail long était plus facile qu’un semi-marathon couru à fond. Ses encouragements sont les bienvenus.

Les derniers kilomètres s’annoncent comme les plus longs. Tour à tour, j’attends Bruno qui voulait se soulager avant l’arrivée puis Bruno lève le pied quand je faiblis à cinq kilomètres du but. Une belle solidarité s’est mise naturellement en place.

Nous traversons l’île saint-germain dans le sens de la longueur, longeons les ports de Javel, Grenelle, descendons sur l’île aux cygnes où je mets les pieds pour la première fois. Un dernier effort sur le port de Suffren et c’est l’apothéose. L’escalier qui nous ramène sur le parvis de la tour Eiffel fait office de chemin vers la terre promise. Il est 21h09.

Les clameurs d’un public énorme me procure de nouveaux frissons. Je lève la tête en direction du premier étage de la tour. La ligne d’arrivée est en haut des 357 marches qu’il reste à grimper. J’échange une poignée de mains de remerciements avec Bruno au pied de l’édifice puis il est temps de se lancer à l’assaut de la dame de fer.

Cinq minutes d’ascension sont nécessaires pour parvenir au premier étage et enfiler le tee-shirt de finisher ! Fait incroyable je gagne encore trois places pendant ces cinq minutes et passe sous le portique d’arrivée en 9h12′ à la 350ème place. C’est un délivrance inouïe ! Un moment rare dans une vie de coureur du dimanche. Yann limite courageusement les dégâts en franchissant lui aussi la ligne d’arrivée en moins de 10h avec un chrono final de 9h53′.

Je tombe dans les bras de ma compagne qui, impatiente de me retrouver, vient elle aussi de rejoindre le premier étage à pied ! La descente par le monte charge est l’occasion d’évacuer le trop plein d’émotions. En bas un comité d’accueil surprise est venu féliciter les héros d’un soir que nous sommes. Il y Salvio, FlorentStéphane et Jean-Pierre qui en profite pour me tirer le portrait. J’ai l’air fatigué mais qui ne le serait pas après une folle journée pareille.

45 réflexions sur “Eco-trail de Paris 2012, le jour le plus long

    1. Merci ! Mais c’est 9h12′, sauf que ça fait plus que 9h16′ sur 80 bornes. Et oui, ils nous ont enlevé le rab que vous avez eu en plus l’an passé. 78 km annoncés, 78 km au compteur. A très bientôt.

  1. J’ai suivit ta course toute la journée via le live (tu était le seul dont je connaissait le nom de famille) tu m à bien fait rêver ! Bravo pour cette course magnifiquement gérée.

    1. Tu plaisantes, y a d’autres noms de famille que tu connais, genre Clavery, Gault, Breuil… non :) ? Blague à part c’est gentil d’avoir suivi le live. Si déjà ça t’as donné des idées pour aller bouffer le Ventoux dimanche c’est bien :) !

  2. J’avais hâte de lire ton récit Philippe ! Comme première expérience d’ultra-trail, c’est excellent. Bravissimo !

  3. Bravo pour ta course et ton récit, vu ta perf et celles depuis le début de l’année, je crois que tu n’es plus dans la catégorie « coureur du dimanche :-), encore bravo! (80 bornes c’est dingue)

    1. Merci. C’est vrai, je suis aussi un coureur du lundi, du mardi, parfois du mercredi ou du jeudi et du vendredi :) !

  4. Bravo Philippe ! Un peu plus de 9h pour boucler ce 80km, c’est encore une fois une magnifique performance!
    Tu sais que te lire donnerait presque envie de tenter l’aventure ? On y lit tellement de bonheur !!

    1. Merci Sandrine ! Je sais pas si il faut réfléchir trop longtemps avant de se décider. Après on risque de reculer. Mais ça dépasse la course à pied qu’on connaît bien

  5. moi aussi je l’attendais ce CR !
    Le week-end a été trop stressant ; sans compter le live qui marchait quand il voulait…

    Pour moi il n’y a que ce genre de course longue qui peut procurer ce genre d’émotions.
    Les retranscrire pour les partager avec nous est un exercice compliqué duquel tu te sors aussi bien qu’une course de 80km !
    Et encore, je suis sur qu’il y a encore beaucoup de choses à écrire qui n’appartiennent qu’à toi et qui te suivrons longtemps ;)

    Profites bien de ta récup !

    PS : monter tant de marches dans cet état, est-ce bien raisonnable ?

    1. C’est exactement ça et tu parles en connaissance de cause. On peut pas tout raconter. Pour le PS j’aurais jamais accepté qu’elle monte à pied si elle m’avait prévenu…

  6. Et je confirme qu’un semi à fond c’est bien plus dur. Mais tellement plus plat coté émotions !
    Cela n’empêche pas qu’il faille passer par là, pour atteindre « sereinement » cet état étrange que procure la grande dame de fer. mais c’est un autre sujet…

  7. Bravo mister, je savais qu’avec ta préparation et ton sérieux tu pouvais faire aussi bien ! C’est vraiment cool que tu ai retrouvé Bruno, en fait quand je l’ai appelé pour savoir ou il en était, je ne savais même pas qu’il courait avec toi ;)

    Bon allez, il faut que moi aussi je m’y mettes pour ce CR !

    1. Merci Bastien ! Ça a vraiment été une belle coïncidence que je cours les 25 dernières bornes avec lui. Alors que je pensais qu’il était devant. Et c’était sympa vos coups de fil :)

  8. Un grand bravo et félicitations. C’est tout simplement génial ce que tu viens de faire (pour un coureur du dimanche). Ton sérieux et ton travail pendant le préparation t’a permis d’attendre ton objectif et de gravir le premier étage de la Tour Eiffel avec la banane! Un souvenir qui restera, j’en suis sûr, très longtemps gravé dans ta mémoire. Encore bravo!

    1. Merci Greg. J’ai beau ne jamais suivre de plan très précis, je dois bien avouer que cette course est un peu quand même l’accomplissement du travail effectué et aussi réfléchi !

  9. Super Philippe ! Bravo, je vous ai suivis (coureurs de la runnosphère) en live samedi soir…et tu étais déjà arrivé. Il n’y a pas que l’entrainement et la volonté. Tu as aussi toutes les aptitudes physiques pour, non seulement tirer parti de tes séances d’entrainement, mais aussi pour faire face aux avatars rencontrés lors de de type d’épreuve. Et tu sembles les exploiter au mieux. Chapeau !

  10. Félicitations à toi !!
    Ce jour le plus long marque ta plus longue course (pour l’instant !! ;-)
    tu signes là un superbe chrono sur une telle distance, normal me diras-tu avec un tel travail de la vitesse !!
    Je vois que tu as fait chauffer ta CB pour les photos, car elles sont vraiment superbes !!

  11. T’as quand même fait un joli chemin, et je ne parle pas de ce week-end.
    Nous aussi, nous avons eu très soif au Ventoux, d’ailleurs, j’ai pensé à plusieur reprises que l’an prochain, j’ouvrirai un stand pour vendre des pressions sur le bord du chemin !
    Félicitation, ça devient une habitude de te le dire, mais tu le mérites :-)

  12. Bravo pour la belle performance. J’ai partagé les mêmes émotions que toi (et la même état de fatigue apparemment) lors de ce trail interminable par moments. A une prochaine course dans les parages.

    1. ah tu étais là ! Merci. Je viens de voir ton extraordinaire chrono. J’irai lire ton anglais quand je serai moins fatigué :)

  13. Moi j’attendais d’avoir un moment vraiment tranquille pour lire et profiter pleinement de ce CR. Parce-que je savais bien sur qu’il serait bon, a l’image des derniers que j’ai adoré mais aussi parce-que je me doutais qu’il y aurai çe petit truc en plus.. Cette emotion dont parle Julien et que je ne connais pas, mais qui m’attire de plus en plus a forçe de lire les CR d’experience comme la tienne ! :)
    BRAVO pour la performance (etre finisher) et encore plus pour le chrono !

J'ai un truc à dire !