A l’école du marathon

Dimanche dernier c’était mon troisième marathon de Paris. J’ai couru le premier, j’ai photographié et encouragé lors du second. J’ai pédalé, photographié, encouragé, pédalé, encouragé, couru et encouragé pendant le troisième. Chacun de ses trois marathons m’a amené à sa manière son gros lot d’émotions. J’ignore si c’est parce que je suis moi-même viscéralement coureur depuis trois ans environ que je vis si intensément les courses dans lesquelles je ne suis pourtant pas engagé. Déjà, dimanche matin à 8h30 lorsque j’arrive sur une place de la Bastille presque déserte et balayée par un vent glacial, je prends la mesure de l’événement et m’apprête à vivre une matinée hors norme.

Certains bénévoles du premier ravitaillement sont encore occupés à retirer méthodiquement les bouchons des milliers de petites bouteilles d’eau qu’ils tendront une heure plus tard aux coureurs tandis que d’autres cisaillent en quartiers des tonnes d’orange. Les dernières banderoles des sponsors finissent d’être installées, l’écran géant qui diffusera le reportage de france télévision en direct est déjà allumé et diffuse en boucle des images de l’édition 2011 montées sur une musique quasi mystique. L’agitation est plus que palpable, un climat de dramaturgie prend possession de ce lieu déjà chargé d’histoire au fur et à mesure que des spectateurs pourtant frigorifiés se massent derrière les barrières de sécurité. Le spectacle va pouvoir commencer.

Les kenyans sont déjà en train de dévaler les champs élysées à plus de 20 kilomètres par heure, ils seront là en moins de 15 minutes. Mais avant leur arrivée, les concurrents handisport partis avec plusieurs minutes d’avance traversent la Bastille sous les encouragements du public, avant d’être avalés sans pitié par la tête de course quelques hectomètres plus loin. Enfin pas tous. Les concurrents en fauteuil handisport filent pour certains à près de 30 kilomètres par heure. A ce jour aucun kenyan ne peut rivaliser (sic).

Je suis venu en tenue de coureur, équipé de mon appareil photo. J’en profite pour immortaliser les flèches africaines qui se détachent déjà après seulement 5 petits kilomètres de course. Mais je suis surtout venu encourager les amis et accompagner Salvio avec qui j’ai pris rendez-vous au 32ème kilomètre. Une déferlante chamarrée impressionnante surgit de la rue de Rivoli, un flot ininterrompu de coureurs encore peu marqués par leur effort mais pour certains très concentrés sur ce qui les attend. D’autres, à l’apparence moins renfermée haranguent les spectateurs et réclament des encouragements. Ces derniers ne se font pas priés et répondent généreusement. Paris n’est certes pas New-York, mais pour un dimanche matin et par une température ressentie qui doit frôler les 2 degrés Celsius, je trouve qu’elle se défend bien. Je suis à l’affût, photographiant bon nombre d’inconnus et surveillant à la fois le passage des amis et des connaissances de course.

Soudain, je suis surpris et impressionné d’apercevoir Pascal, meneur d’allure des 3 heures, passer avec son oriflamme rouge qu’il tient à bout de bras. J’apprendrai plus tard que la tige de son dispositif s’est brisée dès le bas des champs Élysées. Je réussirai à l’encourager lors de son passage au 32ème kilomètre alors qu’il tient toujours son « bidule » à la main pour remplir brillamment la mission difficile qu’on lui a confiée.

Je redouble alors d’attention pour tenter d’apercevoir les coureurs les plus rapides de la runnosphère au milieu du flux qui s’épaissit avec les minutes qui passent. Je manque Jean-Pierre mais je vois Greg passer tout près avec le sourire des grands jours, comme s’il préparait un bon coup. Peut-être est-il simplement heureux de m’apercevoir là ! Salvio ne tarde pas, il sait où je suis positionné et je vois bien qu’il me cherche lorsqu’il se dirige vers les barrières. J’ai le temps de lui adresser quelques mots et de lui donner rendez-vous pour la fin.

Quelques minutes plus tard c’est le monde à l’envers quand Kejaj qui prend part à son premier marathon m’interpelle ! Si les coureurs se mettent à encourager les spectateurs ! Je lui souhaite bon courage. Je reste encore quelques instants, dans l’espoir d’identifier Noostromo, Giao, Mathes, Maya et de les encourager pour la longue épreuve qui commence à peine. Je n’en aperçois malheureusement aucun.

Je décide de m’éclipser et de sauter sur un vélib pour rejoindre la rue Molitor tandis que les marathoniens sont partis pour effectuer leur traditionnel tour du bois de Vincennes. Mon itinéraire est simple, il consiste en un long ruban bleu de 9 kilomètres, peint au sol. Pour me réchauffer, je pédale comme un forcené, le pneu avant rivé à ce fil d’Ariane du marathonien. Il est à peine plus de 10 heures et des spectateurs sont déjà présents sur le parcours après le 23ème kilomètre. Je rejoins mon point de chute moins de 30 minutes plus tard, peu de temps avant que les premiers fauteuils ne fassent leur apparition à une vitesse impressionnante, puis les champions, à la foulée toujours aussi déliée et quasi silencieuse. Comme si la distance et l’effort n’avait pas de prise sur eux. Un pur moment de grâce. Derrière eux ce n’est pas la même histoire. Les grimaces de certains témoignent de la souffrance endurée.

A cet endroit la rue est étroite, je suis idéalement placé pour photographier et encourager. Par ordre approximatif d’apparition j’arrive à donner de la voix pour Yoann, Frédéric, Jean-Baptiste, Jean-Charles, Patrice, Stefan, Jean-Pierre, Greg (toujours aussi à l’aise, j’ai déjà le sentiment qu’il accomplit quelque chose de grand), notre Jaja national, Patrick, Emmanuel… et Salvio qui ne vient pas.

Je comprends dès lors que l’ambitieux objectif annoncé de 3h15′ pour une première expérience sur marathon ne sera pas atteint. Quand il arrive enfin et que je lui emboîte le pas, je constate immédiatement qu’il est anormalement diminué physiquement. C’est son genou qui le gêne depuis déjà 15 bons kilomètres. Moi qui pensais avoir la tâche facile en l’accompagnant vers un triomphe annoncé à l’allure guillerette prévue de 4’37 » au kilomètre tout en profitant du paysage et de mon statut de sans dossard infiltré au coeur du peloton, je me retrouve à devoir jouer le rôle difficile de soutien moral. Trouver les mots qui rassurent et motivent à la fois n’est pas un exercice facile. J’utilise alors ma modeste expérience de coureur pour lui transmettre quelques ondes positives. Le tour du stade de Roland Garros et la traversée du bois de Boulogne se profilent comme un vrai chemin de croix.

Je tente bien d’élever imperceptiblement l’allure pour vérifier si Salvio est vraiment au maximum de ses capacités de l’instant. Il semble que oui. Les apparitions successives de Julien vers le 33ème kilomètre puis de Sébastien peu après le 41ème interviennent comme de véritables bouffées d’air frais pour notre néo marathonien qui continue de souffrir en silence. Entre temps, vers le 36ème kilomètre c’est l’ami Giao qui nous dépasse, Il a l’air frais comme un gardon le bougre.

Le binôme adroitement photographié par Julien

Quelques dizaines de mètres avant d’atteindre la place Dauphine, d’où l’on entend déjà la clameur en provenance de la ligne d’arrivée, je le pousse une dernière fois et lui rappelle de savourer, comme la récompense du travail accompli ces dernières semaines, ce morceau d’avenue Foch qu’il n’est pas prêt d’oublier. Puis je me presse au point de rendez-vous fixé la veille, impatient de récolter les récits des héros du jour.

Si je n’ai pas couru cette édition 2012 du marathon de Paris, j’ai néanmoins vécu une matinée riche en partage et en émotions comme le sport est capable d’en procurer parfois.

20 réflexions sur “A l’école du marathon

  1. C’est bien que tu puisses le faire. De mon côté, en tant que marathonien, il m’est difficile d’être sur les lignes de côté pendant un marathon.

  2. Merci beaucoup Philippe d’être venu en tant que supporter. Te voir sur le parcours m’a beaucoup aidé. Tu es un excellent supporter.
    Quand est-ce que tu remets ca?

  3. Merci pour ce très beau récit, je me suis senti a nouveau dans la folle ambiance de ce dimanche a le relire, que de belles images qui ont défile dans nos têtes ce matin-la

  4. Une autre belle façon de vivre un marathon. Meneur d’allure n’est pas forcément très aisé mais le faire en tant que soutien moral est une vraie performance. Tu as réussi à emmener Salvio sur un superbe chrono !! Chapeau à toi !!

  5. Excellent ce récit de supporter-photographe-accompagnateur ! :)
    Et bravo à tous les coureurs, c’est toujours une course d’exception le marathon…

J'ai un truc à dire !